Léa Laforest, catalogue du 67e Salon de Montrouge, 2023


« Et l’usine
Quand tu en sors
Tu ne sais pas si tu rejoins le vrai monde ou si tu le quittes1 »

Pour parler de son travail, Léa Laforest évoque d’abord une quête d’efficience politique. Sa pratique est selon elle « un moyen d’expression, un outil d’action et d’union des forces ». En l’ancrant dans des thématiques liées à son histoire familiale et à une réalité économique concrètement vécue, elle place au cœur de la discussion le rôle social et démocratique que peut avoir l’art. Ce faisant, elle en interroge les conditions de réception : il s’agit toujours de comprendre à qui l’on s’adresse, de générer des récits communs plutôt que de nouvelles formes d’exclusion. Ainsi fait-elle, à travers ses installations et ses projets de films, comme dans ses engagements collectifs, dialoguer des mondes qui se côtoient mais se rencontrent rarement, tout du moins dans les représentations dominantes.

Léa Laforest agit précisément à cet endroit, bien loin des stéréotypes à la peau dure, ceux d’un art contemporain dont les préoccupations et les enjeux seraient hors-sols. Vivre pour le meilleur (2021) renvoie aux bruits de la machine à café qui ont rythmé les aubes de son enfance, lorsque son père, ouvrier de l’industrie chimique dans une usine jurassienne, se levait pour embaucher. Le dispositif en vase clos d’une cafetière à filtre qui rejette et récupère ad vitam un liquide bleu lagon, mis en regard d’un puzzle de paysage bucolique, est ainsi sous-tendu par une approche critique de la place occupée par le travail dans nos vies.

Les promesses d’épanouissement que le discours néo-libéral véhicule sont aussi remises en question dans la série Votre mission (2023-en cours). Sur des rubans adhésifs aluminium déployés dans l’espace, on peut lire des extraits d’annonces pour des emplois intérimaires, dont les exigences semblent en sérieux décalage avec le terrain. Son œuvre est aussi parsemée d’images transférées sur porcelaine, extraites de la société de loisirs ou renvoyant au quotidien des travailleur·euses – tel ce menu du jour d’un café ouvrier, manuscrit sur une feuille à petits carreaux et dont la beauté a trait à son caractère ritualisé.

À la question posée par l’historienne de l’art Estelle Zhong-Mengual, « Dans quelle mesure l’art est-il à même de contribuer à la réinvention des conditions et des formes possibles d’un faire collectif2 ? », Léa Laforest apporte une réponse à travers les activités du collectif Freed From Desire (FFD). Né après le premier confinement, cofondé avec les artistes Mégane Brauer et Anne-Claire Jullien dans le village natal de Léa Laforest, Bletterans, FFD organise annuellement une session de résidences, une exposition collective, des ateliers et un temps festif ouvert à tous·tes les habitant·es. Pleinement inscrit dans le renouveau actuel de l’engagement collectif porté par des artistes en zones dites rurales, FFD fait partie de ces projets artistiques qui inventent de nouvelles formes du politique, créent des relations au bénéfice de la collectivité, et contribuent à faire l’expérience de la communauté.

1. Joseph Ponthus, À la ligne. Feuillets d’usine, Paris, La Table Ronde/Folio, 2020, p. 19.
2. Estelle Zhong-Mengual, L’Art en commun. Réinventer les formes du collectif en contexte démocratique, Dijon, les presses du réel, 2019, p. 12.

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Salon de Montrouge
Léa Laforest


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