Clara Cimelli, catalogue du 67e Salon de Montrouge, 2023
À bord, ça tangue et ça hurle dans une joyeuse immédiateté, un désordre jouissif aux mille actions simultanées. Clara Cimelli est la capitaine d’euphoriques paquebots en papier aux bords accidentés. Réalisée à la verticale, au mur, mais plusieurs fois tournée et retournée pendant sa création, la surface d’une œuvre comme Sea Life (2022) ondule au rythme des morceaux de papiers collés au pistolet. Traits de feutres en bout de course, rayures compulsives au stylo BIC, coulures de peinture à la bombe et aplats de vernis donnent naissance à un univers aquatique aux couleurs vives, voire fluorescentes, et à la perspective écrasée. La réalisation dans une forme d’urgence, comme l’attention aux effets bienvenus du hasard, n’empêchent en rien une préparation étudiée. Clara Cimelli réalise systématiquement des croquis qui fixent les grandes lignes des œuvres à venir : thème général, traits de construction et teintes dominantes sont ainsi posés dès le départ.
Enfant de la classe moyenne du mitan des années 1990, elle puise pêle-mêle dans les souvenirs qui ont construit son imaginaire – des mercredis d’errance dans les grandes surfaces de banlieue aux vacances familiales en Italie, à courir les musées, les églises et les palazzi. Clara Cimelli en a conservé un amour immodéré de la peinture du Trecento et du Quattrocento, plaçant notamment au panthéon de ses références les fresques siennoises d’Ambrogio Lorenzetti (1338-1339). Quand l’attrait pour l’histoire de l’art rencontre la pop culture, les gargouilles médiévales prennent subitement un air de famille avec Ronald, feu le clown emblématique de la malbouffe mondialisée. Ce grand mélange est à l’origine d’une troupe de personnages plus ou moins monstrueux sans jamais être réellement effrayants, pris dans d’improbables scénarios évoquant le psychédélisme des années 2000.
Souvent, ses compositions en all-over renvoie à un « espace libérateur » dans lequel l’univers de Clara Cimelli se déploie, et où « rien n’est incohérent, tout est possible ». Parcs d’attraction, lieux touristiques et lieux de fête lui permettent de donner visuellement corps à un sentiment d’euphorie qu’elle explore de plus en plus, en lien avec l’importance de la musique dans son œuvre, et à l’échelle de l’environnement. Elle organise par exemple des concerts et conçoit les scénographies au sein du collectif BRIGANDS. Elle réalise également des costumes peints pour les live d’ami·es musicien·nes, sans rechercher une quelconque maîtrise de la couture. Les vêtements qui en résultent sont peints à l’acrylique, à la bombe, recouverts de dessins crochetés à l’épingle à nourrice, parfois pour un usage one-shot.
Dans son approche du costume comme dans ses œuvres sur papier, il y a chez Clara Cimelli une forme de dépense d’énergie en pure perte, conjuguée à l’idée d’un présent éternel, que l’on pourrait rapprocher du concept de Post-Crash Party Music théorisé par l’universitaire Dan Dipiero. Selon lui, une tendance de la pop américaine festive, apparue en réaction à la crise financière de 2008, se distingue par « une célébration frénétique, radicale, nihiliste du temps présent, une fête qui dure indéfiniment et qui est aussi l’ultime fête (avant la fin du monde).1»
1.Dan Dipiero, « Danser jusqu’à l’effondrement. La pop festive de l’après-crise », trad. Julie Ghibaudo et Guillaume Heuguet, Audimat, n°13, mai 2020, p. 14.
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