Mathieu Mercier : une théorie des boucles à Caen
Après avoir conçu, ces quinze dernières années, trois commissariats d’exposition à partir d’œuvres de la collection du Frac Normandie Caen, Mathieu Mercier est le premier artiste invité à présenter une monographie au sein des nouveaux espaces de l’institution régionale. Une dernière aussi pour sa directrice Sylvie Froux, qui vient de quitter l’institution qu’elle a dirigée pendant dix-huit ans.
En mars, le Frac rouvrait ses portes dans un ancien couvent du XVIIe siècle, à la suite d’une rénovation d’ampleur conduite par l’architecte Rudy Riciotti. Intitulée « Loops » et initialement programmée jusqu’en septembre, l’exposition du plasticien français, né en 1970 et lauréat du Prix Marcel Duchamp en 2003, a été prolongée jusqu’au 1er décembre. L’occasion de ne pas manquer une proposition singulière, dont l’un des enjeux réside (comme son titre l’indique) dans la figure de la boucle. Perception vertigineuse de l’espace et télescopage des temps : en une sélection resserrée de six œuvres, Loops propose la synthèse brillante de certaines obsessions intellectuelles et plastiques d’une pratique trop souvent réduite à son approche post-duchampienne de l’objet.
Mathieu Mercier a plongé les salles flambant neuves dans l’obscurité, privilégiant l’éclairage ponctuel de certaines œuvres, quand d’autres, à l’instar de Diorama (couple d’axolotls) (2012), génèrent leur propre luminosité. Spectaculaire, l’effet produit est pourtant le fruit d’un constat sans appel, certaines caractéristiques du lieu étant, du point de vue de l’artiste, peu adaptées à une présentation adéquate de ses œuvres. Dans un même registre, la thématique de la boucle, qui irrigue l’ensemble du travail de Mercier, semble s’être plus particulièrement imposée ici en réponse à la topographie de l’espace d’exposition. En forme de L, celui-ci oblige en effet les visiteurs à revenir sur leurs pas pour en sortir. Réalisées entre 2012 et 2019, les œuvres réunies se font écho de multiples manières, plus ou moins évidemment perceptibles au premier abord.
La coupe des ongles, les poils des cils, l’épiderme frissonnant : dans la vidéo Le Nu (2013), l’objectivation du corps est poussée à l’extrême. Ainsi épluché, scruté au-delà des capacités propres à la vision humaine, sa figuration bascule du côté de l’abstraction. Abordant l’un des plus vieux sujets au monde – la représentation artistique de la nudité féminine – avec un moyen de captation filmique en 3D parmi les plus élaborés, Mathieu Mercier interroge les possibilités du renouvellement du regard à l’aune de l’évolution des moyens de reproduction technique. On pourrait penser, à ce titre, aux conséquences que le développement de la photographie aérienne eut sur la compréhension du paysage. Ou à cette lettre d’Alexandre de Humboldt datée de 1839, dans laquelle il relate la découverte de détails imperceptibles à l’œil nu (des brins de paille, par exemple) en observant des daguerréotypes à la loupe.
Car c’est bien de la problématique de la vision couplée à celle de l’histoire des techniques dont il est question dans cette œuvre ; comme dans l’animation (Hypercube, 2018) qui lui fait écho en préambule de l’exposition, ou encore dans les entrelacs d’une tapisserie magistrale (Sans titre, 2014) tissée à la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. À l’instar de cette dernière, révélatrice de la réflexion de Mathieu Mercier sur l’entremêlement des dimensions temporelles et spatiales, le Diorama (couple d’axolotls) fonctionne sur un principe de collision, la forme primitive de ces mammifères vivants convoquant immédiatement à l’esprit une période archaïque. Pour finir, c’est peut-être une œuvre inédite (Alzheimer, 2019) constituée de l’assemblage d’une plaque de granit et d’une chaîne et qui renvoie, selon son auteur, à différentes formes de mémoire, dont l’empreinte visuelle nous poursuivra le plus longuement.
Visuel : vue de l'exposition personnelle de Mathieu Mercier, Loops, Frac Normandie Caen.
Photo Marc Domage, 2019
In The Art Newspaper, 4 novembre 2019
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