Alain Bublex en vedette américaine à Tours
À l’occasion de sa quatrième exposition au centre de création contemporaine de Tours, le plasticien français révèle le paysage qui forme la toile de fond d’un monument du cinéma populaire américain, le premier opus de la saga Rambo.
Lorsqu’on le rencontre, Alain Bublex pointe spontanément une caractéristique de son exposition tourangelle, en la situant au point de convergence de deux axes de son travail : le paysage et la construction. Soit l’union de deux temps habituellement distincts, regarder et représenter, voir et faire. Une conjonction passionnante permise par l’équipe du CCC OD, qui a eu l’idée d’inviter l’artiste à présenter un film dans la nef du bâtiment où le centre d’art a rouvert, en 2016. Or, avec ses larges baies vitrées et ses onze mètres sous plafond, cet espace baigné de lumière n’est guère adapté à l’image en mouvement. Visible en permanence depuis la rue, l’endroit a des atours de lanterne magique qui ont rendu indispensable la conception d’un dispositif de monstration. Impressionnante d’ingéniosité, l’installation in situ produite en conséquence dialogue avec l’architecture tout en faisant œuvre.
Scindée en deux dans le sens de sa hauteur, la nef accueille une sorte de charpente au sein de laquelle on pénètre pour se retrouver face à un grand écran. Sommaire, la construction sert de salle de projection à un dessin animé contemplatif, dont le projet tient du déraisonnable. Depuis 2018, Alain Bublex a en effet entrepris de reproduire plan par plan le premier titre de la saga Rambo, First Blood, réalisé par le canadien Ted Kotcheff en 1982. Et s’il en est seulement aux 18 premières minutes d’un film qui en compte 90, Bublex ressent désormais « la nécessité d’aller jusqu’au bout » de son appropriation. Exempte de nostalgie, l’attention de l’artiste a moins été happée par l’action musclée que par le décor, une petite ville américaine nichée dans les contreforts des Rocheuses, saisie au début de l’hiver. Il dit s’en être rendu compte au gré des rediffusions télévisées : c’était le paysage qui retenait exclusivement son intérêt. Il en fera l’unique personnage du film dans sa reprise au dessin vectoriel, une technique à laquelle il est fidèle depuis son premier ordinateur.
Plongé dans l’image, Alain Bublex reconnait progressivement de grands classiques de la peinture américaine dans les cadrages du film, allant même jusqu’à discerner un enchaînement dans les références picturales : un paysage montagneux grandiose à la manière de l’Hudson River School, une scène de genre évoquant les régionalistes, des enseignes telles qu’un hyperréaliste a pu les peindre. Attelé à dessiner les plans, l’artiste ne les voit pas : il les revoit, avec la charge de sa culture visuelle et la fine perception des mythes collectifs qu’ils véhiculent. Son regard pointe que le décor naturel des Rocheuses au sein duquel Rambo se débat revêt aux yeux d’un public américain des allures de paysage originel. Il incarne une vision biblique du paradis perdu telle qu’elle a été véhiculée par de nombreuses œuvres peintes de la seconde moitié du XIXe siècle, et constitue le lieu idéal pour se retrouver face à soi-même, tel qu’il a été recherché par l’un des fondateurs du wilderness américain, H.D. Thoreau.
L’exposition se poursuit au niveau supérieur, sur le toit de la structure, où le décor sur lequel First Blood s’ouvre – une cabane forestière, au bord d’une étendue d’eau – a été reconstitué selon le principe du diorama. Mêlant l’emploi de matériaux bruts, prélevés dans l’environnement proche, à des formes stylisées, Alain Bublex donne corps à une image à l’arrêt. Mise à distance et comme extraite du temps, la scène peut se découvrir selon différents points de vue ménagés depuis l’atelier pédagogique, le restaurant ou la rue. Soient autant de perspectives permettant de prolonger la question centrale de l’exposition, celle du paysage et de son appréhension.
Visuel : Alain Bublex, Un paysage américain (générique), vue d’exposition au CCC OD, Tours, France, octobre 2019. Photo : F. Fernandez. © CCC OD, Tours
In The Art Newspaper, 21 novembre 2019
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