Florian Sumi



« Making is Vision. Vision is Meaning. Meaning is Historical » : empruntées à un épisode de True Detective1, les considérations incrustées à la fin de The Makers (2016), le film le plus récent de Florian Sumi, ont une fonction programmatique. L’intérêt qu’il porte à la technique, à la vision du monde que toute production véhicule et à ce que cela révèle des sociétés et de leur évolution, apparaît en effet au fondement de sa pratique. En « fabriquant », à son tour, « des objets d’usage générant des discours sur notre devenir humain2 », il se confronte (et nous confronte) à des problématiques essentielles de notre temps. Qu’il réfère à des technologies en développement pour en réfléchir les conséquences, ou mobilise des biotechnologies traditionnelles pour en exposer les effets, comme c’est le cas dans ses dernières œuvres, il s’agit toujours de saisir le présent de manière complexe, dans sa multiplicité, sans en écarter les divers héritages qui le modèlent activement ni les bouleversements futurs qu’il contient déjà.

Peut-on s’autoriser à remettre en cause certains systèmes référentiels dominants la marche du monde ? Il serait, pour cela, dommage de sous-estimer la puissance critique de la création artistique et sa capacité à participer d’un changement de paradigme, en contribuant par exemple à décaler la perception de faits communément présentés comme allant de soi. C’est dans cette visée prospective que Florian Sumi agit lorsqu’il produit des œuvres qui mettent en lumière des situations hautement paradoxales. Réagissant à certaines avancées scientifiques contemporaines, il en questionne par exemple les incidences métaphysiques sur la conception du sujet. Lethal – Eternity (2015), une campagne publicitaire d’anticipation développée avec l’agence de communication Dawnmakers, met en images deux pilules aux effets opposés : tandis que la première contient une substance pharmacologique fatale, permettant l’euthanasie, la seconde promet la vie éternelle. Or, si l’existence est le savoir de la finitude, comme a pu le poser Heidegger, quelles peuvent être les conséquences de « la mort de la mort3 » ? Si l’homme devient la première espèce à s’extraire de la fatalité, actant le passage de l’homme qui sait qu’il sait qu’il va mourir à l’homme qui sait qu’il peut ne pas mourir, à l’horizon de quel basculement mental se tient-il ? Quels seront les impacts infinis de son immortalité sur ses manières de vivre et d’habiter le monde, comme sur ses relations avec les autres espèces ? L’être humain retisse inlassablement sa réalité, et dans une circularité cannibale que l’esthétique de cette campagne traduit, il fait lui-même partie de la matière culturelle qu’il produit, et qui devient sa réalité.

Comme tout « objet », la science moderne est construite, elle résulte de choix idéologiques et économiques. Les actions bénéfiques de certains micro-organismes qui existent par milliards autour et en nous, semblent, entre autres conséquences, étrangement négligées. Tel est le constat qui pourrait être à l’origine de Dôme Food (2016), un prototype de laboratoire domestique de multiplication bactérienne initié en collaboration avec l’artiste Laura Porter, et dont la substance produite, du kéfir, est un probiotique connu pour ses propriétés diététiques. La démarche se mue ici en une interrogation sur les maximisations de connexions inter-espèces, dans la lignée de slogans diffusés par la campagne publicitaire Ephemeral Electronics (2014) : le futur se trouve dans la nature (« Looking for the Future ? Look at the Nature ») et nous entoure depuis toujours (« Future has been here the whole time »). Initiant une série d’œuvres à finalité curative fonctionnant grâce à une eau biodynamisée, enrichie en chlorure de magnésium et divers micro-organismes, l’Étude pour un cabinet de bain (2016) découle de cette même logique. À l’instar de plusieurs œuvres de Florian Sumi, elle dévoile une image intrigante du corps humain, ici celle d’un être disséqué, mis à plat, possible cartographie d’un sujet dont l’exploration ne fait que débuter.

Paris, février 2017

1Plus précisément au personnage incarné par Matthew McConaughey, épisode 2 de la saison 1.

2Selon les propos de l’artiste.

3Laurent Alexandre, La Mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité, J.-C. Lattès, 2011


Florian Sumi


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