Mathilde Denize, émietter l’univers



Mathilde Denize (née en 1986) a participé au Salon de Montrouge en 2013. Développant une œuvre fondée sur l’intuition et l’économie du geste, elle réalise des assemblages d’objets à partir de rapprochements formels et d’associations mentales parfois énigmatiques. Engagées du côté de la subtilité, non de l’ostentation, ses œuvres incarnent un réel morcelé et recomposé avec un certain sens de l’évidence plastique.

On entre dans l’œuvre par un détail, car de détails il est en elle partout question. Par exemple celui, troublant, d’un ensemble intitulé Le moindre geste (en référence au film éponyme de Fernand Deligny) montré au sein de l’exposition collective Les Fragments de l’amour à La Traverse (Alfortville). Une carte postale ancienne est déposée à l’arrière d’un fragment de visage en béton aux lèvres étrangement rythmées. Sur cette carte aux bords dentelés, on croit distinguer une scène isolée d’un culte de possession africain ; un entrelacs de bras et de jambes d’où émerge un profil paré, telle une mise en image de l’injonction finale du Nadja de Breton, « la beauté sera convulsive ou ne sera pas ».

Or, c’est bien ce geste « moindre » – mais essentiel – que l’on trouve au fondement des assemblages aux formats intimistes que Mathilde Denize réalise avec le hasard comme méthode de création (« le hasard travaille mieux que moi » dit-elle, à la suite de Dada) à partir d’objets éclectiques, souvent incomplets, rencontrés dans la rue ou aux puces et thésaurisés dans l’atelier. Entourée de sa récolte d’éléments oubliés et anonymes, prosaïques ou dérisoires, ainsi que de certaines formes nées de sa main, elle enchaine librement les différentes tentatives de rapprochements, favorisant du bout des doigts « l’intuition hâtive » d’une association soudain évidente. À travers ce rituel où l’œil et la main dessinent plus ou moins consciemment des lignes d’un objet à l’autre, c’est toute une pensée du détour, de l’ellipse, des lapsus et autres gestes manqués qui se délie.

Les œuvres ainsi créées sont chargées de significations mystérieuses qui peuvent être d’ordre autobiographique – tel Sans titre (2013), un caillou auquel une photo d’identité d’un arrière grand-père aveugle est attachée, fermement reliée par un lacet qui occulte son regard –, symbolique et/ou renvoyer à de subtils jeux langagiers – voir Hand-me-down (2015). De fait, une part du travail de Mathilde Denize est irrémédiablement liée à la précarité de l’existence et à « la présence d’une absence », à une totalité préalable dont chaque fragment conserve la mémoire. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles elle organise leur présentation sur de petits socles blancs qui les apparentent à des autels, voire à des ex-voto, et laissent imaginer d’autres possibilités de déploiements dans l’espace, à l’instar de celui permis par sa première exposition personnelle, en 2014 (Galerie Djeziri Bonn, Paris). Parfois, elle les fait également dialoguer avec les peintures à l’huile qui constituent un autre pan de sa pratique, et dont la modestie des formats garantie ce rapport spontané à la matière qu’elle affectionne.

In : Le Quotidien de l’Art num. 1011, 26 février 2016 – texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge.

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