Ana Mendieta



Originaire de La Havane, Ana Mendieta (1948-1985) a treize ans lorsqu’elle est envoyée aux États-Unis par ses parents, soucieux de l’éloigner de la répression qui règne alors à Cuba, quelques années après l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro. Cet arrachement à sa terre natale, où elle ne retourne pas avant 1980, constitue un évènement traumatique auquel son œuvre fait écho. Dès le début des années 1970, elle développe une démarche singulière, viscéralement liée à son histoire tout en étant pleinement ancrée dans le contexte artistique de l’époque. Entre pratiques performatives, Body Art, Land Art, et revendications féministes, identitaires et culturelles, son travail croise de grandes tendances contemporaines.

Dans ses premières performances, politiques et provocantes, Ana Mendieta fait de son corps le matériau même de son art pour dénoncer l’atrocité des violences sexuelles masculines. Elle se met en scène dans son appartement, inerte, le corps souillé, maculé de sang (Rape Scene, 1973), ou simule sa mort en pleine rue, offrant sa dépouille à la vue de tous (Dead on Street, 1973). C’est également à cette époque qu’elle initie les Siluetas Works (1973-80) sa série la plus connue et aboutie, réalisée sur plusieurs années entre l’Iowa, où elle vit depuis son exil forcé, et le Mexique, qui lui rappelle le Cuba de son enfance. Performances ritualisées et sculptures éphémères, systématiquement filmées et photographiées, exécutées en prise directe avec l’environnement, les Siluetas mêlent le Body Art et le Land Art en un « Earth-Body Art ». Sur le site archéologique précolombien de Yagul, au Mexique, elle s’allonge nue dans une sépulture Zapotèque, le corps recouvert de fleurs (Flowers on Body, 1973) ; à terre, ensevelie sous les pierres, elle se dégage progressivement au rythme de grandes inspirations (Burial Pyramid, 1974). En Iowa, sa silhouette en drap blanc s’enflammant sur les rives du fleuve (Silueta en Fuego, 1975) compose un autre simulacre de rites funéraires, où la mort semble toujours entraîner une renaissance. Empreintes, recouvrements ou moulages de son corps étendu, réalisés avec des matériaux naturels et faisant appel aux quatre éléments, les Siluetas laissent progressivement place, au début des années 1980, à des sculptures aux formes de plus en plus stylisées et archétypales, évocations puissantes de l’art préhistorique.

Ana Mendieta conférait un rôle magique à l’art, et une dimension cathartique à sa pratique. Matérialisant sa croyance intime en une forme d’énergie vitale, primordiale et universelle, ses œuvres mêlent les influences, de la tradition catholique, dans laquelle elle a été éduquée, à la Santeria afro-cubaine et aux cultures méso-américaines primitives, pour lesquelles elle se passionne. Effrayante et transgressive lorsqu’elle se confronte aux violence sexuelles et met en scène des pratiques sacrificielles conjuratoires (Death of a Chicken, 1972), l’œuvre d’Ana Mendieta s’est développé dans l’excès, selon un principe de dépense libératrice. L’irruption de la mort parmi la vie que ses Siluetas expriment, son intérêt pour l’art précolombien et préhistorique, sa conviction en l’universalité ainsi que son approche toute personnelle des rituels et du sacré, constituent autant d’aspects qui la font entrer en profonde résonnance avec la pensée de Georges Bataille.

In : Artpress 2, La Traversée des Inquiétudes, 1. Dépenses. Une exposition librement adaptée de la pensée de Georges Bataille, commissaire : Léa Bismuth. Num. 42, août 2016.

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