Rafaela Lopez, Pop power
Rafaela Lopez (née en 1988) a participé au Salon de Montrouge en 2012, alors qu’elle était étudiante à la Villa Arson (Nice). Fraîchement diplômée du Royal College of Art (Londres), elle a remporté en août dernier le prix « Show Room » décerné pendant la foire marseillaise ART-O-RAMA1, ce qui lui vaut d’être l’artiste invitée de la prochaine édition. Son travail se déploie entre sculptures et vidéos, avec l’art et la manière de favoriser les projets collaboratifs comme de réinterpréter des pratiques culturelles – au sens le plus large – a priori éloignées du monde de l’art.
Rafaela Lopez insuffle une énergie vitale aux œuvres, les siennes ou celles d’autres artistes, les animant pour leur faire vivre de singulières épopées. Avec son projet de trilogie filmique Etat d’âme, State of the Mind (2015), elle leur donne littéralement la parole, personnifiant les sculptures réalisées par ses collègues au cours de leur cursus commun au Royal College of Art. Dans le premier chapitre présenté à Marseille (le second étant en montage) Crab Salad de Natalie Price Hafslund et The King de Jamie Fitzpatrick nous confient ainsi leurs états d’âme – ou leur état d’esprit, le titre de la trilogie jouant sur les différences de sens entre les locutions française et anglaise –, révélant non sans autodérision une perception toute subjective de leur apparence formelle, de leur raison d’être et des effets qu’elles suscitent en situation d’exposition. Visuellement maîtrisé et porté par une bande son originale, l’ensemble emprunte certaines de ses mises en scène, rythmées par un jingle, à la téléréalité. À travers l’alternance de très gros plans sur les œuvres, de vues partielles sur leur conception ou de séquences les installant, face caméra, dans un confessionnal, c’est toute une métaphysique teintée d’affects et bordée d’humour qui se construit ; une forme de discours sur et à partir d’un art qui ne se prendrait pas (trop) au sérieux mais n’en serait pas moins en prise avec des problématiques essentielles.
À l’image de ce dernier projet, Rafaela Lopez se fait fort d’initier des situations d’émulation collective dont elle encadre le déroulé d’une règle du jeu initiale, volontairement souple autant que joyeusement ambitieuse. Auparavant, elle a par exemple offert un bain chloré aux sculptures d’une vingtaine d’artistes – la participation était sur appel à projets – lors d’un grand happening intitulé Sculpture Synchronisée (2014) organisé avec l’artiste, commissaire et critique Georgia René-Worms2. S’affrontant dans une piscine de la Ville de Nice selon les principes de la natation synchronisée, les œuvres étaient mises en mouvement par des nageuses de l’Olympic Nice Natation devant un jury composé pour partie de critiques d’art, pour partie de professionnels du sport, sous le contrôle scientifique d’une entraineur hors-pair. Dans un autre registre, elle a par la suite mis le feu à Trivial BBQ (2014, avec Baptiste Masson), une sculpture fonctionnelle synthétisant formellement plusieurs types de grilles de cuisson traditionnelles. Prétexte à une soirée barbecue et point de départ d’une édition consacrée à l’histoire culturelle de cette pratique culinaire et sociale, l’œuvre étend ses références, de la réinterprétation d’une situation banale et festive à une compréhension globale de notre humanité. L’objet quotidien comme l’œuvre d’art sont ainsi abordés par Rafaela Lopez pour ce qu’ils révèlent en tant que signe et réceptacle culturel. Si elle en explore différemment les ressorts selon les projets, sa démarche globale apparaît fondamentalement motivée par la conviction d’une nécessaire réévaluation du rôle social de l’art contemporain.
In Le Quotidien de l’Art, num. 938, 6 novembre 2015 – texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge.
1Commissaire du « Show room 2015 » : Veronica Valentini.
2Dans le cadre de l’exposition « Des Corps Compétents (La Modification) », commissaire Arnaud Labelle-Rojoux, CNAC Villa Arson, Nice.
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