Isabelle Le Minh, Après la photographie



Isabelle Le Minh a participé au Salon de Montrouge en 2010. Il y a plusieurs années, prenant acte de la déferlante numérique et de ses conséquences sur son médium d’élection, la photographie, l’artiste (née en 1965) s’est éloignée d’une pratique traditionnelle basée sur la captation du réel. Conceptuelle et formellement diversifiée, son œuvre est désormais portée par une réflexion sur la nature de l’image et ses mécanismes de construction. La galerie Christophe Gaillard, à Paris, lui consacre jusqu’à ce samedi une exposition personnelle intitulée « Stranger Than Paradigm ».

Le travail d’Isabelle Le Minh est de ceux qui remettent actuellement en jeu les formes et les théories instituées de la photographie. Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles avant l’arrivée du numérique, les bouleversements induits par cette révolution ont considérablement modifiés sa pratique, au point d’en devenir un sujet. Qu’elle s’interroge sur le statut de l’artiste – à l’ère où la technique rend la production d’images accessible à tous – ou sur la nature de l’image photographique – entre révélation, illusion et profusion confinant à la saturation du regard – Le Minh construit, non sans humour, une œuvre réflexive et maîtrisée.

Ainsi du vaste ensemble « After Photography » débuté en 2007, dont le titre fait simultanément référence aux appropriationnistes américains et à cet « après » de la photographie initié par le tournant numérique. Chaque projet conçu dans ce cadre, s’il est d’abord un hommage à une figure de la photographie argentique ou un artiste contemporain, devient, comme le précise Le Minh, « prétexte à une spéculation sur la nature de l’image ou à une réflexion sur les outils et les moyens de production de la photographie à travers son histoire. » Il en résulte des projets résolument synthétiques à différents niveaux de lecture. Citons notamment l’installation Re-Play (After Christian Marclay) (2009), où filtre une interrogation sur la matérialité des images, et Darkroomscapes (After Hiroshi Sugimoto) (2012), où l’horizon maritime des œuvres du photographe japonais est remplacé par la ligne formée, en laboratoire, par le révélateur dans une cuvette de développement. Un autre horizon d’attente, derrière lequel se cache la dimension temporelle constitutive de la photographie argentique, loin de l’immédiateté du numérique. Objektiv (After Bernd et Hilla Becher) (2014) couvre plusieurs murs de son exposition actuelle chez Christophe Gaillard, dont un des propos est d’envisager la photographie « à travers son épaisseur historique ». Rejouant fidèlement la démarche typologique et le protocole de prise de vue des Becher en prenant pour sujet les objectifs conservés par la Société française de photographie, cette série apparaît exemplaire de la superposition des significations que tend à ciseler Le Minh dans ses œuvres, et dont la logique interne apparaît au regard avec la soudaineté de l’évidence.

Cette logique frôle volontiers l’absurde dans un autre pan de son travail, en partie inspiré de son expérience de documentaliste spécialisée en art contemporain – l’artiste est par ailleurs commissaire d’expositions et enseignante en école supérieure d’art –, et très certainement influencé par son métier initial d’ingénieur-brevets. Dans plusieurs projets tels Listing (2005-09), This is the artist (2011) ou Don’t fence me in (2011), Isabelle Le Minh rassemble, indexe et nomme, cherchant à classifier avec le systématisme enthousiaste et la rigueur folle des grands projets encyclopédiques. Relevant d’un rapport ludique à l’art et ses protagonistes qui irradie l’ensemble de sa pratique, ces œuvres rendent également compte des constantes interactions ménagées par Le Minh entre les informations textuelles et les images, que ces dernières soient présentées au regard ou suggérées à l’esprit.

In Le Quotidien de l’Art, num. 867, 3 juillet 2015 – texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge.

← Retour