Éponine Momenceau, Le réel au tamis de l’image
Éponine Momenceau (née en 1985) a participé au Salon de Montrouge en 2012. Diplômée de la Fémis, elle élabore patiemment les contours d’une œuvre poétique et contemplative, orientée sur la voie féconde d’un art contemporain croisant salles obscures et espaces d’exposition, et vient par ailleurs de signer la photographie du dernier long-métrage de Jacques Audiard, en sélection officielle au Festival de Cannes. Son second film, Waves Become Wings (2012), montré jusqu’au 16 mai à la galerie mélanie Rio, à Nantes, sera projeté le 19 mai au Studio des Ursulines, à Paris, dans le cadre d’une séance thématique de l’association Light Cone.
Formée à la direction de la photographie au sein du département image de la Fémis, Éponine Momenceau possède la maîtrise technique des outils qu’elle mobilise au service d’une œuvre naissante, construite en parallèle – mais non sans lien – de ses engagements en tant que chef opératrice. Elle qui, portée par la découverte émancipatrice du cinéma expérimental, s’est ouverte à la réalisation avec l’assurance qu’il était possible de faire un film sans scénario ni acteurs, sait faire naître de la réalité la plus banale des scènes éminemment plastiques, aux références tant picturales que cinématographiques. Dans Song (2011), son premier film avec lequel elle a remporté le Prix du conseil général des Hauts-de-Seine à Montrouge, comme Waves Become Wings, son second film exposé au Palais de Tokyo suite à ce prix, elle parvient ainsi à faire advenir une émotion esthétique à partir d’images filmées en situation documentaire, montées et mises en dialogue avec une bande-son particulièrement travaillée.
D’une durée totale d’environ 12 minutes, Song fait défiler une narration simple sur trois écrans, l’histoire d’inconnus qui se succèdent sur les quais d’une station de RER. Tourné à l’épaule pendant quinze jours pleins sans avoir suscité la moindre interrogation de la part des personnes croisées, le film évoque l’attente et la solitude urbaine – Les ailes du désir (1987) de Wenders traverse l’esprit – avant que la mise en branle laisse place à des compositions lumineuses abstraites, une alternance de passages floutés, de surimpressions de formes et de couleurs filmées à travers les vitres des wagons – on songe aux expérimentations pionnières de Stan Brackhage ou à l’expérience sensible du temps dans le voyage en train de Juste le temps (1983) de Robert Cahen.
Si pour Song, Momenceau a travaillé la matière argentique même, chargeant parfois ses caméras 16 et Super 16 mm de pellicules périmées aux couleurs passées, elle a par la suite intégralement filmé Waves Become Wings avec un appareil photo numérique capable d’enregistrer des images au ralenti. Ce ralentissement provoque un cadencement stroboscopique accentué par l’éclairage au néon de la scène filmée, un match de baskets entre jeunes filles ici métamorphosé en un moment suspendu, extrait du temps. Le clair-obscur, le cadrage sur des gestes en suspens et une bande-son autonome faîte de souffles, bruissements d’étoffes, chuchotements, chants religieux et autres bruits déroulant une composition de John Cage, contribuent à faire de l’œuvre une représentation contemporaine du sacré.
Ces deux films comme, on le devine, le troisième et prochain film d’Éponine Momenceau, actuellement en préparation, partagent plusieurs traits communs, de la traduction visuelle et sonore d’une dérive au large du réel née d’un état altéré de conscience – rêveries solitaires au sein de scènes de la vie collective – à une attention presque mystique accordée aux postures des corps et à la lumière. Son travail, qui implique une pratique régulière de la photographie et une attention de plus en plus appuyée envers la vidéo, organise ce faisant le passage de morceaux extraits du réel vers une nouvelle dimension, apte à en révéler la beauté et le sens caché.
In Le Quotidien de l’Art num. 833, 15 mai 2015 – texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge.
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