Chloé Quenum, Déplacements, dégagements



Chloé Quenum (née en 1983) participe au Salon de Montrouge en 2010, alors qu’elle est encore étudiante aux Beaux-Arts de Paris. Diplômée en 2011, l’artiste construit une approche exigeante de la sculpture et de l’installation, mettant en espace des œuvres formellement abouties mais rarement figées en un état définitif. Chargée de la mémoire de précédentes incarnations et ouvertes aux potentialités futures, elles ont la poésie de l’impermanence des choses.

D’exposition en exposition, Chloé Quenum élabore ses œuvres à partir d’un répertoire de formes et d’objets relativement courants et empruntés à l’environnement domestique. Ainsi de Circuit III (2013), un tapis de Kashan dont elle a retravaillé le code chromatique et sur lequel les visiteurs du Palais de Tokyo pouvaient marcher, ou du paravent Les Horizons qu’elle réalise la même année et dont les pans portent l’empreinte de ses pas. Paravent et tapis : les deux objets, récurrents dans la pratique de l’artiste, condensent certaines de ses préoccupations majeures. Leurs relations à l’espace sont complexes, ils le séparent autant qu’ils le dessinent. Mobiles, ils permettent divers agencements, tandis que les motifs traditionnellement présents à leur surface constituent un langage, véhiculent des récits. Les œuvres citées révèlent en outre, de manière indicielle, la place essentielle occupée par le corps et les actions simples – se déplacer, par exemple – au sein d’un travail qui se caractérise par sa subtilité et son élégance formelle.

Si les œuvres de Chloé Quenum dessinent des parcours sensibles au sein des espaces d’exposition, elles forment souvent elles-mêmes des paysages à explorer physiquement et mentalement, des œuvres « ouvertes » avec lesquelles la relation est déterminante. Dans la continuité de Circuit III, l’artiste a récemment conçu une vaste installation servant d’assises aux spectateurs des films projetés dans le cadre de la manifestation Vidéodanse, au Centre Pompidou. Intitulée Dune, elle était composée de tapis disposés au sol ou sur des estrades basses, libérant peut-être ses occupants « de l’adhérence au monde » au profit « d’effets de flottement, de désorientation et de déséquilibre » (pour détourner des propos de l’exposition « Tapis volants » orchestrée par Philippe-Alain Michaud à la Villa Médicis, en 2012). Un dispositif propice aux pensées nomades et autres idées rêveuses de la légèreté de celles qui affleuraient les replis des hamacs de Leeway (2013), lors de la seconde exposition personnelle de l’artiste à la galerie Joseph Tang, à Paris, ou à la surface de ses Structures pour ombres (2013) présentées dans le cadre du 15e Prix de la Fondation d’entreprise Ricard.  

Adepte des déplacements citationnels et des réminiscences formelles, Chloé Quenum tisse entre ses œuvres une filiation particulière et mouvante au gré des différents contextes d’exposition. Fin 2014, dans le cadre d’une exposition personnelle aux Bains-Douches, à Alençon, elle prolonge les extensions de cadres amorcées avec Leeway en leur conférant une dimension résolument anthropomorphique. Parmi les différents éléments à fonctionnement symbolique qu’elle dispose dans ses Figures, Speech and commotion, la figure de l’hippocampe fait directement référence aux mécanismes de la mémoire. Sa dernière exposition, qui vient juste de s’achever à l’espace amstellodamois Rongwrong, initiait de nouvelles associations en réactivant des fragments empruntés à de précédentes œuvres. Intitulée From Milk to Fall, en référence à un passage de L’Art de la mémoire de Yates, elle était représentative de la manière dont Chloé Quenum distille dans son travail une forme d’exploration continue de ses propres processus créatifs, comme de la spécificité du geste artistique.

In Le Quotidien de l’Art, num. 897, 11 septembre 2015 – texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge.


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