Guillaume Constantin, Si personne ne me voit, je ne suis pas là du tout


Cryptoportique de Reims, Frac Champagne-Ardenne hors les murs, mai 2014
Commissaire : Antoine Marchand


La pratique de Guillaume Constantin a trait à l’image en ce qu’elle est hantée par ses propres modalités d’apparition, de fixation. Les yeux grand-ouverts sur le fugitif coincé dans le permanent, ou inversement, toujours sensibles à ce qui, du passé, affleure au présent.

Ainsi des Everyday Ghosts, une série photographique débutée en 2008 où les drapés, les ombres, les accidents de surface l’emportent. Les saisies sont instinctives, quotidiennes, le vécu presque mystique : « Ce sont les objets qui apparaissent, et non moi qui les vois » précise l’artiste. D’abord diffusés par voie numérique, en réponse à leur mode de production, rapide, avec l’outil le plus proche, un téléphone glissé dans la poche, les Everyday Ghosts se sont peu à peu incarnés sur papier ; sans jamais se libérer d’une certaine précarité, toujours liés à une logique tenant ensemble création et restitution. Ce sont des images travaillées par l’éphémère, leur statut est une question.  

La présence de quelques Everyday Ghosts au sein de l’exposition personnelle de Guillaume Constantin au Cryptoportique de Reims est discrète. Elle semble anecdotique, elle pourrait être essentielle. Elle informe, oriente le regard à poser sur l’installation principale, in situ : ici il y aura apparition, disparition, prégnance du mille-feuille des temps. Si le clin d’oeil au minimalisme (Robert Morris en particulier) tient de l’évidence, ses codes sont rejoués par un artiste dont la sensibilité a été marquée au fer de ses lectures : Daniel Arasse, Roger Caillois et Georges Didi-Huberman ne sont jamais loin.  

L’espace d’exposition est une galerie souterraine fraîche et humide, divisée en deux travées par une rangée centrale de piliers. L’accès à la première travée – celle dont la paroi est percée par des ouvertures qui déversent le jour – est d’abord empêché. L’installation, interdisant ainsi le passage d’une travée à l’autre en divers endroits, montre le chemin de la déambulation.

Les contraintes de ce lieu patrimonial d’origine gallo-romaine ont constitué le socle de l’intervention sculpturale de Guillaume Constantin. Puisqu’aucun trou ne saurait être percé, il a profité des profondes encoches laissées sur les piliers par d’anciennes activités marchandes pour y encastrer des tasseaux de bois, un voire deux par entrevous. Son œuvre vient littéralement se loger dans les stigmates du passé. À ces tasseaux sont suspendus plusieurs lés de liège d’isolation, un matériau industriel couramment utilisé comme sous-couche. C’est un matériau de l’entre-deux, conçu pour l’invisibilité, que l’artiste emploie depuis 2010 selon un protocole de pliage par gestes simples, et sans procédé de fixation. Ici, les lés d’un mètre de large se succèdent jusqu’à recouvrir la longueur de chaque tasseau. Le tomber est travaillé, le pli introduit, mais – entorse inédite au protocole – des aimants aident à en conserver la mémoire. Par endroits, au sol, des lés ont enfin été pliés, superposés, entreposés.

Guillaume Constantin propose ainsi une oeuvre in situ à la présence réfléchie, ouverte à l’expérience active d’un lieu dont elle souligne la mémoire de fonctions passées (déambulation, commerce, stockage) autant qu’elle en révèle la perception au présent.  

In Artpress.com, 2014

Guillaume Constantin


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