Jugnet+Clairet, Séries


Centre d’art Passerelle, Brest, octobre 2013


Commissaire : Étienne Bernard

L’invitation faite au duo français Jugnet+Clairet par Étienne Bernard, récemment nommé à la tête du centre d’art Passerelle, à Brest, s’inscrit dans le prolongement de discussions au long cours menées au Nouveau-Mexique, où les artistes ont vécu plusieurs années. De fait, l’exposition porte en elle leur attrait pour ce territoire – entre autres projections stimulées dans l’imaginaire du visiteur : étendues désertiques, motels standardisés, lumière aveuglante. Un néon (Séries, 2013) accroché à une poutre de béton précontraint surplombe le patio de ses lettres rougeoyantes, formant un mot barré sur toute sa longueur : « séries ». L’œuvre est à la fois éponyme et programmatique.

Depuis 1998 et leurs premières Séries américaines, Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet développent, sans exclusivité mais avec une constance appuyée, un travail pictural singulier sur formats larges, en séries. Chaque série est élaborée selon un protocole extrêmement précis et séquencé, où les gestes eux-mêmes sont répétés de manière sérielle, avec la patience d’un autre temps. Ainsi des neiges électroniques des Tapes, Shadings, Fishing with John (2001-2013) et des extinctions d’écran des Switch (2001-2013) présentées à Passerelle. Leur réalisation est basée sur un enchaînement d’actions générant plusieurs changements d’états, de l’image télévisuelle photographiée ou filmée au dessin puis à la peinture appliquée au pistolet à l’aide de différents systèmes de caches. Essentiel, le processus opère la mise à distance nécessaire à leur exploration de l’image, dont ils tentent pragmatiquement de révéler les seuils d’épanouissement et d’évanouissement via le passage au tamis de ses médias modernes.

Sur la mezzanine, deux séries complètes de Still Life-Los Alamos (2010-2011) se font face en miroir à la lumière de la grande verrière. Fidèles à une approche consistant à « produire de nouvelles conditions d’émergence des formes pour mieux les questionner », les artistes se sont employés à scanner huit ustensiles de verrerie laborantine ; ceux-ci proviennent des surplus du Laboratoire de Los Alamos où furent conçues les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Les reproductions sur toiles des images obtenues conservent presque tout : les effets de réflexion issus du balayage de la lumière sur le verre comme les bords noirs nés de l’ouverture entre les plans supérieurs et inférieurs du scanner bidimensionnel utilisé. Jugnet+Clairet en ont peint plusieurs séries, mêlant successivement à l’acrylique une forte concentration de pigments phosphorescents vert, bleu et orange avant de clore le mouvement par une série en noir et blanc. Entre fulgurance et mémoire, ces natures mortes qui n’en finissent pas d’inspirer et d’expirer la lumière incarnent ainsi de manière visible l’entremêlement des temps propre à toute image.

In Artpress.com, 2013

Jugnet+Clairet


← Retour